Supra | Comment survivre à ce festin géorgien ?

Écrit par Sébastien

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Le supra géorgien (En géorgien : სუფრა) est un repas généreux et un ancien rituel communautaire de partage et d’appréciation des valeurs locales. Il occupe une place honorable sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité et constitue une forme essentielle de lien et de communication entre les hommes. Lors d’un séjour en Géorgie, assister à un supra est le meilleur moyen de découvrir les habitants, leurs coutumes et la riche culture gastronomique du pays.

Dans cet article, nous allons voir tous les aspects de ce repas gargantuesque.

Temps de lecture estimé : 14 minutes

Étymologie

En géorgien, supra signifie littéralement « nappe » et, au fil des siècles, il est devenu essentiellement synonyme de festins où une grande table est habituellement dressée. Le mot « nappe » lui-même est probablement apparenté au mot persan sofre, bien qu’il n’ait pas les mêmes connotations en dehors du contexte linguistique géorgien. Les grands repas publics ne sont jamais organisés en Géorgie sans supra ; lorsqu’il n’y a pas de tables, le supra est posé à même le sol.

Qu’est-ce qu’un Supra ?

En Géorgie, la Supra est définie comme une institution sociale où, grâce à l’utilisation d’alcool et de nourriture, ainsi qu’aux instructions du tamada et de ses toasts, diverses fonctions sociales sont remplies, notamment le divertissement, la socialisation, la communication et l’établissement voire le renforcement des liens entre les personnes.

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Représentation d’un Supra par Niko Pirosmani, le plus grand peintre géorgien

En d’autres termes, c’est une fête gargantuesque qui bien plus que ça pour les géorgiens !

Même s’il y aura à manger, à boire et à s’amuser, l’événement est soumis à un rituel strict qui doit être respecté par toutes les personnes présentes. Et c’est le rôle du Tamada de s’assurer que le rituel de la Supra est respecté.

Qu’est-ce qu’un Tamada ?

Le Tamada est le maître de cérémonie de la fête. Toutes les Supra, quelle que soit leur taille, ont un tamada. Assis à une table lors d’un mariage avec 200 autres invités… il y a un tamada. Assis à une table en train de boire un verre avec un ami ? L’un d’entre vous sera tamada !

Il incombe au tamada de porter le toast approprié au moment opportun tout au long de l’événement. Le tamada doit être intelligent, savoir faire réfléchir et avoir un bon sens de l’humour. Il doit être capable de raconter une histoire tout en l’adaptant au toast qu’il prononce et à l’événement en cours. Ils sont responsables de la vitesse à laquelle l’alcool est consommé, car après chaque toast, les invités sont censés boire tout leur verre d’un seul trait, alors qu’il est honteux d’agir en état d’ébriété ou de donner l’impression d’être trop ivre. C’est pourquoi l’alcool et la nourriture vont de pair tout au long de la supra et le Tamada est comme le maître de piste du cirque qui veille à ce que tout soit bien contrôlé.

Pour vous donner une idée de la quantité de vin consommée, disons qu’il est courant qu’un Tamada boive plus de 3 litres de vin lors d’un supra d’une journée.

Traditionnellement, ce rôle est tenu par les hommes, les femmes prenant le contrôle de la cuisine, mais aujourd’hui, il est tout à fait possible d’avoir une femme tamada.

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Reproduction de la statue d’un tamada du 7e siècle avant J.C.

Le rôle du Tamada

Le tamada est le guide de l’événement. Ils mènent les toasts. Ils animent la salle. Un grand tamada est un véritable maître de la dynamique sociale.

  • Un tamada donne de la vie à chaque toast. Ils sont éloquents, voire poétiques dans leur maîtrise des sujets qu’ils présentent. Ils tissent des histoires surprenantes sur chaque thème du supra.
  • Le tamada incite les autres invités à apporter leur contribution, au lieu de s’accaparer les feux de la rampe. Il relie tous les invités entre eux.
  • Il lit la salle et oriente les thèmes des toasts par vagues, en fonction de l’ambiance.
  • Un grand tamada attire l’attention et touche toutes les émotions au cours du supra.
  • Et le plus important le tamada boit à chaque toast mais ne se montre jamais en état d’ébriété.

Une tamada médiocre échoue dans la plupart ou la totalité de ces éléments et se contente de porter des toasts basiques « à la paix », « à l’amour », sans apporter de profondeur ou de réelle connectivité. La barrière de la langue peut rendre difficile l’expérience de tous ces éléments pour les étrangers. Il est donc essentiel de trouver un excellent tamada parlant anglais ou d’être accompagné d’un traducteur ou d’un guide compétent. Bien que l’éloquence puisse se perdre dans la traduction, un tamada magistral est capable d’exécuter toutes les autres tâches mentionnées ci-dessus, même avec un anglais rudimentaire.

Les deux types de Supra

Il existe deux styles formels de Supra : les banquets de célébration (lkhinis suprebi) et les banquets de deuil (ch’iris suprebi).

Les supras de fête sont organisés pour célébrer les événements de la vie : naissances, mariages, anniversaires ou pendant les vendanges de Rtveli. Ils sont une occasion amusante, avec de nombreux toasts portés par le tamada, qui racontera également des blagues et des histoires, et assurera généralement le bon déroulement de la fête.

Les supras de deuil sont très formels et se déroulent en trois occasions distinctes : immédiatement après le décès, après 40 jours et un an plus tard. Souvent, lors des supras de deuil, les invités ne restent que pour les trois toasts officiels portés par le tamada funéraire désigné. Il porte un toast au défunt et lui souhaite la paix éternelle. Il porte ensuite un toast à la mémoire et au bien-être céleste des parents décédés du défunt. Enfin, il porte un toast à tous les membres de la famille du défunt encore en vie, puis aux personnes endeuillées elles-mêmes.

Après chaque toast, les invités avalent leur vin d’un trait, en prononçant d’abord les mots xsovna iqos (« Qu’on se souvienne de lui ! »). Le nombre total de toasts portés par les tamada doit être impair, de même que le nombre de cuillerées prises par les assistants dans certains plats rituels réservés aux funérailles et passés de main en main.

Histoire du Supra

Ce que j’ai été surprise d’apprendre après avoir fait mes recherches, c’est qu’il semble que la forme du supra que nous connaissons aujourd’hui a probablement été créée au XIXe siècle. Oui, c’est tout récent ! Cette théorie est basée sur le fait que les mots « supra », « toast » ou « tamada » n’existent pas dans les textes antérieurs au XIXe siècle. Cela ne veut pas dire que les Géorgiens ne festoient pas et ne boivent pas depuis des siècles…

En fait, une vieille histoire raconte : « Lorsque Dieu a distribué des portions du monde à tous les peuples de la terre, les Géorgiens faisaient la fête et buvaient beaucoup. Ils sont donc arrivés en retard au rendez-vous et Dieu leur a dit que toutes les terres avaient déjà été distribuées. Lorsqu’ils répondirent qu’ils étaient en retard uniquement parce qu’ils avaient levé leur verre en le louant, Dieu fut satisfait et donna aux Géorgiens la partie de la terre qu’il s’était réservée. »

La structure même du festin, avec le toast, la tamada et l’enchaînement des supra, semble beaucoup plus récente. Avant que le terme supra ne soit inventé, le festin en Géorgie était plus communément appelé Nadimi ou p’uroba (en référence au pain puri traditionnel servi).

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Les amis de Begos par Niko Pirosmani. Un tamada tenant un kantsi (corne) et portant un toast lors d’un keipi (supra festif).

Pourquoi Nadimi s’est-il transformé pour devenir la Supra que nous connaissons aujourd’hui ?

Selon les textes, la supra est apparue avec l’incorporation de la Géorgie et du reste de la Transcaucasie dans l’Empire russe au début du XIXe siècle. D’ailleurs, je précise que les festins gargantuesques et les toasts sont très présent dans la culture russe. Sous l’empire, la culture géorgienne a alors été mise de côté et le supra a été utilisé comme un moyen de reprendre le pouvoir qui leur avait été retiré. Le fait de trinquer est devenu un moyen de sentir qu’ils faisaient encore quelque chose pour leur pays, leur dieu, leur famille, etc. alors que les limites de l’occupation russe ne leur permettaient pas de le faire dans leur vie de tous les jours. Le toast était un moyen de reprendre le pouvoir qui avait été perdu.

Outre l’abondance de nourriture et de boissons, la nécessité de disposer d’une table supra spécifique, de plats particuliers, d’intérieurs spécialement conçus et même d’éléments traditionnels, tels que les vêtements, les danses et les chants traditionnels, tout cela constituait un moyen de préserver l’héritage géorgien et de le transmettre aux autres générations. La Supra était et est toujours l’occasion de discussions politiques, d’improvisations de poèmes ou de vers, de spectacles musicaux, etc…

C’est pourquoi, à l’époque soviétique, le supra était mal vu par les autorités de l’État. En fait, en 1975, une loi a été adoptée en Géorgie soviétique selon laquelle les grands banquets associés aux mariages, aux décès, aux naissances, etc. étaient considérés comme une manifestation et une opposition flagrante à l’Homo Sovieticus (la personne conformiste moyenne de l’époque), et le supra a été déclaré comme une coutume néfaste.

Aujourd’hui, alors que la Géorgie est devenue indépendante, on peut se demander pourquoi cette tradition s’est perpétuée. Certains pensent que le supra semble offrir une forme permanente de renforcement culturel face à la mondialisation moderne.

Le supra est devenu un élément tellement important des traditions géorgiennes que le fait d’être invité à un authentique supra est certainement un honneur pour tout étranger visitant ou vivant en Géorgie. C’est un événement que l’on regarde avec excitation mais aussi avec découragement…. car on sait que l’on repartira avec au moins une ou deux tailles de pantalon de plus qu’au départ.

Conseils pour assister à votre première Supra

De la part des Géorgiens

  • Il est important de faire attention et de boire lentement/raisonnablement car nous portons de nombreux et longs toasts, afin de ne pas être trop ivre et de comprendre les détails importants du supra géorgien.
  • N’ayez jamais peur de porter votre propre toast lorsque vous assistez à un supra géorgien, le tamada sera heureux et écoutera vos paroles avec plaisir, il suffit de lui faire savoir que vous voulez dire quelque chose après lui.
  • La corne de chèvre est l’un des éléments les plus importants du supra géorgien. C’est dans ce recipient qu’on boit le vin et porte les toasts. Le volume est assez important donc si vous ne pouvez pas le boire d’une traite, utilisez le mot géorgien « Alaverdi » « ალავერდი » et donnez-le à quelqu’un qui peut le faire.
  • Rappelez-vous qu’il est facultatif de boire un verre de vin en entier pour chaque toast. Vous pouvez le faire gorgée par gorgée, c’est à vous de décider ! Personne ne vous forcera, mais par politesse trempez au moins vos lèvres.
  • Si l’hôte vous demande quel est votre vin préféré en Géorgie, vous devez répondre : votre vin est le meilleur de tous ceux que j’ai pu goûter en Géorgie.
  • La viande et les plats principaux arrivent après les entrées donc essayez de ne pas vous empiffrer de Khachapuri.
  • Soyez prudent si vous partez sur des cul-sec car les toasts sont très nombreux.
  • Il existe également la tradition du « alaverdi shentan », qui consiste à répondre au toast d’une manière appropriée lorsque quelqu’un est « alaverdi » avec vous. La réponse doit s’inscrire dans la continuité du toast précédent – l’idée est qu’elle doit venir du cœur, instantanément.

Mes conseils

  • Ne mangez pas de pain, presque pas de khachapuri et goutez à peine les pkhali, car même si la table semble pleine de nourriture, ce n’est que l’entrée. Gardez de la place pour les délicieuses viandes à venir !
  • Buvez un peu de limonade sucrée aromatisée à la poire, à l’estragon ou au saperavi. Le sucre fait gonfler votre estomac et vous permet de manger plus…
  • Si vous n’avez pas une grande tolérance à l’alcool, buvez autre chose entre les toasts et ne buvez du vin que pendant les toasts.
  • Si possible, gardez un petit verre séparé juste pour les toasts que vous pouvez réguler car un verre vide est immédiatement rempli.
  • Achetez une bouteille d’eau minérale Nabeghlavi pour le lendemain matin. Il existe de nombreuses variétés d’eau minérale gazeuse géorgienne mais celle-ci c’est la plus efficace.
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Les bonus pour un évenement réussie

Voici d’autres éléments qui rendent le supra encore plus spécial.

  • Les chants polyphoniques traditionnels sont particulièrement authentiques lorsque le tamada et d’autres invités géorgiens se produisent à la table. Une troupe de chanteurs peut remplacer le chant traditionnel.
  • Danse géorgienne traditionnelle. Là encore, le mieux est d’avoir des hôtes qui dansent et qui sont prêts à se produire ou même à vous apprendre quelques danses.
  • Participez à la préparation du festin en aidant à faire les khinkali ou d’autres plats vous permettra d’être encore plus proche de l’expérience gastronomique.
  • Le bon nombre d’invités est important. Moins de 4 avec tamada et il est peu probable que l’événement fasse le buzz. Au-delà de 18 invités, les choses deviennent impersonnelles et décousues. Entre 7 et 14 personnes, c’est le bon chiffre.
  • Si vous disposez de peu de temps en Géorgie, il est très peu probable que vous soyez invité à un supra. Néanmoins, si vous réservez un dîner complet dans un domaine viticole familial, vous avez toutes les chances d’assister à une sorte de supra. Mais il ne s’agit là que de la version la plus basique : tout dépend de ce que vous payez et de l’endroit où vous vous rendez.

Quel que soit votre choix, essayez de glisser cette expérience dans votre « to-do list » lors de votre voyage en Géorgie.

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Commentaires

  1. Il est vrai qu’en tant que touriste nous n’avons pas assez de temps pour réaliser un vrai Supra. Cela dit j’ai eu une idée de la chose lors des dîners chez les habitants en Kakhétie

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