Culture du blé en Géorgie

Écrit par Sébastien

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En 2025, l’UNESCO a inscrit la « Culture du blé en Géorgie : traditions et rituels » sur sa Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette décision unanime souligne l’importance du cycle complet des pratiques, de la préparation du sol au battage, ainsi que la tradition de la cuisson du pain rituel, symbole de vie, de prospérité et d’unité dans la culture géorgienne. Cela mérite bien un article !

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La Géorgie, Berceau du Blé

Le blé est incontestablement la culture la plus répandue et la plus importante dans le monde, occupant fermement la première place dans la production alimentaire mondiale. Cette céréale essentielle est unique, car elle est la seule culture à satisfaire pleinement les besoins humains en nutriments nécessaires à l’organisme. De plus, la vaste gamme d’acides aminés essentiels qu’il contient assure à la fois le développement physique et mental des individus, faisant du blé la source la plus cruciale de protéines végétales pour l’humanité. C’est en reconnaissance de cette importance vitale que la Géorgie est depuis longtemps reconnue par des scientifiques de renommée mondiale comme le centre principal de l’origine et de l’évolution du genre Triticum. Ce statut est confirmé par des fouilles archéologiques dans des colonies néolithiques où des types de blé, y compris le blé dur et le blé tendre, ont été découverts, datant de 6 000 ans av. J.-C..

Aujourd’hui, ce patrimoine millénaire est officiellement reconnu sur la scène internationale. La Géorgie est considérée comme un point chaud de la biodiversité pour le blé, un « musée vivant » dont l’analogue n’existe nulle part ailleurs. Sur la vingtaine d’espèces de blé connues dans le monde, quatorze ont été cultivées en Géorgie, dont cinq sont endémiques. Récemment, l’importance culturelle profonde de cet héritage a été consacrée : l’UNESCO a officiellement inscrit la « Culture du blé en Géorgie : traditions et rituels » sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2025. Cette reconnaissance est la cinquième distinction culturelle géorgienne inscrite par l’UNESCO.

Les espèces endémiques de blé géorgien

La Géorgie est reconnue mondialement comme le principal centre d’origine et d’évolution du genre Triticum, abritant cinq espèces de blé qui lui sont strictement endémiques, témoignant d’une biodiversité unique.

Triticum carthlicum (Dika)

Le Dika (Triticum carthlicum) est un blé nu (sans balle) tétraploïde endémique de Géorgie, également connu sous le nom de « Blé de Karthlie ». Cette espèce est particulièrement adaptée aux conditions des zones de moyenne et haute montagne, et ses champs se trouvaient historiquement à des altitudes allant de 750 m jusqu’à 2000 m. Le Dika est une variété de printemps, précoce, remarquée pour sa relative résistance aux maladies fongiques et à la verse. Il est facile à battre et ses grains se distinguent par une haute teneur en protéines et en lysine. Autrefois largement cultivé, le pain Dika était très prisé par les populations locales pour son bon goût et sa capacité à rester frais pendant une longue période.

Triticum macha (Makha)

Le Makha (Triticum macha) est une espèce hexaploïde (AABBDD) de blé vêtu (à grains revêtus), considérée comme l’une des plus anciennes variétés cultivées au monde et un endémique de Géorgie. C’est un blé d’hiver à maturation tardive, qui se distingue par son adaptation aux environnements humides et sa capacité à produire une grande biomasse. Le Makha est connu pour sa résistance aux maladies et aux parasites, notamment les charbons. En raison de son rachis cassant, sa récolte nécessitait historiquement un processus en deux étapes utilisant un outil local spécialisé appelé shnakvi pour collecter d’abord les épis. Le pain Makha était considéré comme de haute qualité, restant frais pendant plusieurs jours, et sa pâte collait facilement aux parois du four traditionnel (toné). Les chercheurs le considèrent comme le progéniteur du blé tendre moderne.

Triticum palaeocolchicum (Kolkhuri Asli)

Le Kolkhuri Asli (Triticum palaeocolchicum), ou Amidonnier de Colchide, est une espèce endémique tétraploïde (AABB) à grains revêtus (vêtu). Menabde l’a désignée comme une relique vivante du passé historique. Cette espèce est remarquée pour sa résistance aux maladies fongiques et ses excellentes caractéristiques agronomiques, car elle s’adapte bien aussi bien au climat humide de la Géorgie occidentale qu’aux conditions sèches et chaudes de l’Est. Le grain du Kolkhuri Asli a une teneur élevée en protéines (jusqu’à 18,8 %) et en lysine. Il était souvent cultivé en mélange (cénose) avec le blé Makha dans l’Ouest de la Géorgie.

Triticum timopheevii (Chelta Zanduri)

Le Chelta Zanduri (Triticum timopheevii) est l’un des blés endémiques les plus importants en raison de ses propriétés génétiques uniques, étant un blé vêtu tétraploïde (AAGG). Le Chelta Zanduri possède une immunité complexe phénoménale et absolue aux maladies fongiques et aux parasites, ce qui en fait une source précieuse de gènes de résistance pour la sélection mondiale. Il est également essentiel pour la création de blé hybride grâce à sa capacité à générer une stérilité mâle cytoplasmique (CMS). C’est un blé de printemps à maturation tardive, résistant à la sécheresse et au gel, et capable de s’adapter à tous les types de sols.

Triticum zhukovskyi (Zanduri hexaploïde)

Le Zanduri hexaploïde (Triticum zhukovskyi) est la cinquième espèce endémique de Géorgie, découverte en 1959 au sein de la population de Zanduri. C’est un blé vêtu hexaploïde (AAGGAA) et très tardif, qui partage de nombreuses caractéristiques avec le Chelta Zanduri, y compris une bonne immunité et une adaptation aux contreforts frais et humides. Il se distingue par une très haute teneur en protéines (23,6 %) et en lysine (2,9 %), lui conférant une valeur nutritionnelle élevée. Cette espèce est issue de l’allopolyploïdie entre le T. monococcum (Gvatsa Zanduri) et le T. timopheevii (Chelta Zanduri).

espèces endémiques de blé géorgien

Un mot sur le Tsiteli Doli, le blé rouge

Le Tsiteli Doli (Triticum aestivum var. ferrugineum), signifiant « blé rouge », est une landrace de blé tendre barbu, adapté comme variété d’hiver, qui revêt une importance historique particulière dans la région de Meskhétie-Javakhétie, dans le sud de la Géorgie. Cette variété indigène se distingue par sa robustesse, étant résistante au gel, à la sécheresse et aux maladies, et s’adaptant bien aux sols lourds et pauvres et aux climats rudes, caractérisés par des hivers froids et des étés chauds et secs. Il existe d’ailleurs plusieurs écotypes de Tsiteli Doli, tels que le Meskhuri, le Kakhuri et le Svanuri, adaptés à des conditions écologiques très variées, allant des montagnes aux conditions quasi subtropicales.

blé Tsiteli Doli

Sa farine est d’une excellente qualité pour la panification et est prisée pour son goût sucré et frais, utilisée dans la préparation de pains traditionnels comme le khachapuri ou de pâtisseries, et le pain qui en résulte a la réputation de conserver sa fraîcheur pendant plus d’une semaine. Malgré les qualités de cette variété que les agriculteurs nommaient affectueusement le « Blé Mère » (Mother Wheat), le Tsiteli Doli a été largement abandonné durant la période soviétique et est aujourd’hui critiquement menacé en Géorgie, bien qu’il soit toujours cultivé par un petit nombre d’agriculteurs (environ 25 à 30 sur environ 50 hectares) et soit connu à l’étranger, par exemple en France sous le nom de « Rouge du Caucase ».

La culture du blé reconnue par l’UNESCO : Rituels et Traditions

Inscription et Portée

L’élément « Culture du blé en Géorgie : traditions et rituels » a été officiellement inscrit en 2025 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO, une décision qui a été unanimement soutenue par les États membres du Comité réuni à New Delhi. Cette reconnaissance met en lumière un ensemble de pratiques et de rituels basés sur la culture et l’utilisation des variétés locales et endémiques de blé, englobant également l’usage d’objets associés, tels que les outils de travail traditionnels, les moulins en pierre et les fours à pain artisanaux. Cette inscription est la cinquième culture géorgienne à recevoir ce statut, rejoignant des éléments déjà reconnus tels que le chant polyphonique et la méthode traditionnelle de vinification en Qvevri.

Cycle complet de la culture du blé et Outils traditionnels

La culture du blé en Géorgie inclut un cycle complet d’activités, de la préparation du sol à la récolte et au battage, une tradition continue qui crée un patrimoine vivant auquel l’UNESCO accorde une importance particulière pour la protection et la transmission. Les moments clés de l’année agricole sont marqués par des coutumes spécifiques, notamment le premier labourage, qui a lieu lors de l’équinoxe de printemps ou d’automne, et une fête communautaire organisée au moment de la récolte. L’utilisation d’outils traditionnels fait partie intégrante de cet héritage : le shnakvi est un instrument spécifique utilisé pour récolter les épis de blé, notamment pour les blés vêtus comme le Makha, dont la récolte se faisait en deux étapes, et le kevri est la planche utilisée pour le battage et l’épluchage des graines.

Shnakvi
Shnakvi
Kevri outil blé
Kevri

Symbolisme du pain et Hospitalité

Le blé endémique est un puissant symbole dans la culture géorgienne, représentant la vie, la croissance et l’abondance. La tradition de la cuisson et du partage du pain rituel est profondément ancrée, et les pains, souvent cuits dans des fours traditionnels comme le tone, le kera ou le ketsi, symbolisent la prospérité, la fertilité, l’unité et la pureté. Le blé est réservé pour des occasions spéciales, telles que les fêtes religieuses et les repas rituels, et sert à préparer des plats comme le korkoti ou le tsandili lors de festins en mémoire des défunts. Au-delà de l’aspect alimentaire, la culture du blé favorise la coopération, l’hospitalité et le respect au sein des communautés.

Division des Rôles et Transmission

La pérennité de la culture du blé repose sur une structure sociale où les rôles sont traditionnellement répartis : les hommes s’occupent généralement du travail des champs, tandis que les femmes prennent en charge le stock de blé et la cuisson des pains rituels pour les cérémonies. Les connaissances et les compétences sont transmises à travers la participation pratique, notamment lors d’événements familiaux et communautaires qui rythment le cycle de vie, tels que les naissances, les mariages et les funérailles. En complément, des organismes de recherche et d’enseignement contribuent également à la préservation des variétés locales de blé et à la diffusion des savoir-faire associés.

Découvrir la culture du blé géorgien dans un excursion

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Sauvegarde et Avenir : De la menace à l’agrotourisme

Déclin et Danger critique

Malgré l’héritage profond et la richesse génétique des blés géorgiens, de nombreuses variétés indigènes ont frôlé l’extinction, un phénomène largement lié aux politiques agricoles du XXe siècle. Des variétés locales importantes, comme le blé tendre Tsiteli Doli, ont été presque abandonnées pendant la période soviétique en raison d’une politique agricole axée sur la concentration, la spécialisation et la mécanisation. Ce déclin a non seulement entraîné la raréfaction du blé lui-même, mais aussi le déclin des connaissances et des pratiques traditionnelles associées à sa culture et à son utilisation. Aujourd’hui, un grand nombre de ces espèces sont considérées comme étant gravement menacées par l’érosion génétique.

Efforts de renaissance

Face à ce danger, un mouvement de renaissance de la culture du blé indigène a été initié, soutenu par des organisations et des agriculteurs pionniers. En Meskhétie, des efforts concertés ont permis de faire revivre des variétés comme le Tsiteli Doli qui est désormais cultivé sur plus de 80 hectares de terres rurales, contre environ 50 hectares auparavant,. Des organismes comme le Centre Régional de l’Environnement pour le Caucase (RECC) et le Centre de Recherche Scientifique de l’Agriculture collaborent pour organiser des formations pratiques sur la culture des blés endémiques, assurant la transmission des savoir-faire traditionnels. Cet intérêt croissant parmi les agriculteurs pour la préservation des cultures indigènes favorise également un sentiment de fierté et d’identité au sein des communautés.

Valeur pour la sélection mondiale

L’importance des blés géorgiens dépasse largement les frontières nationales en raison de leurs qualités génétiques uniques, cruciales pour la sélection mondiale. Des espèces endémiques comme le Chelta Zanduri et le Zanduri hexaploïde sont recherchées pour leur immunité complexe phénoménale et absolue contre les maladies fongiques. Le Chelta Zanduri est également une source essentielle de gènes de stérilité mâle cytoplasmique (CMS), un mécanisme important pour la création de blé hybride,. Des scientifiques dans le monde entier, notamment aux États-Unis, en Australie, au Japon et en Angleterre, ont intensivement travaillé sur le blé géorgien et ont obtenu de nombreuses nouvelles formes et variétés de blé intensif grâce à la participation du Chelta Zanduri. De même, les variétés de blé tendre géorgien sont utilisées pour développer des espèces modernes dotées de gènes de résistance aux maladies et d’une teneur accrue en protéines.

Potentiel du tourisme durable

La renaissance de la culture du blé endémique en Géorgie est en train de créer de nouvelles opportunités économiques, notamment dans le secteur de l’agrotourisme durable. Le retour à la culture des variétés locales, telles que le Tsiteli Doli, contribue à la distinction culinaire de la Géorgie en offrant un goût distinctif et en ravivant l’héritage culturel. Le renouveau de la culture de la boulangerie traditionnelle est spécifiquement destiné à stimuler le tourisme durable local. Le blé endémique a une signification culturelle profonde, s’entremêlant avec les rituels et les festivités locales, ce qui rend les fermes et les processus de panification traditionnels particulièrement attrayants pour les visiteurs. De nombreux agriculteurs se rappellent d’ailleurs que l’odeur du pain traditionnel cuit avec ces variétés ravivait les souvenirs d’enfance et les traditions.

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